INTERVIEW RÉALISÉE PAR VIOLAINE VAUBOURGOIN Qui dit plus grand Pro Am d’Europe dit plus grand directeur de tournoi d’Europe, non ? C’est bien possible ! Nous avons tendu un micro perche à Christophe Cantegrel, directeur de l’agence Golf First, qui, du haut de son mètre quatre-vingt dix s’est prêté à une interview particulière, consistant à analyser son bébé et nous livrer ses secrets d’organisation.
Christophe Cantegrel, directeur de Golf First
Depuis 22 ans qu’il l’aide à grandir, Christophe le connaît sur le bout des doigts son Pro Am International de la Côte d’Opale. Avec son équipe (10 personnes ces dernières éditions), il a veillé sur le bien-être de près de 7 300 golfeurs, distribué autant de cartes de score, arpenté chaque centimètre carré de chacun des 4 parcours qui contribuent au succès de son événement, décidé de 1584 positions de drapeaux et de plus de 1188 emplacements de marques de départ, soigneusement délimité ses dropping zones, obstacles d’eau, terrains en réparation, etc. Car un beau tournoi c’est avant tout un terrain bien préparé.
Retour sur un entretien aux tonalités amicales :
LFCDS : Avant toute chose, qu’est-ce qu’un Pro Am de golf ?
CC : Il s’agit d’un tournoi de golf par équipes, constituées d’un joueur professionnel et de trois amateurs. Dans le cas du Pro Am International de la Côte d’Opale, c’est une occasion de jouer pendant 4 jours avec un pro. C’est quelque chose d’assez inoubliable.
LFCDS : Pourquoi la Côte d’Opale ?
CC : Parce que je suis un petit gars du Nord ! Je suis de Wimereux. Et parce que cette région est magnifique et qu’elle offre 4 parcours exceptionnels, le tout à moins de 3 heures de Paris.
LFCDS : Quels ont été les changements majeurs du Pro Am depuis sa création ?
CC : Eh bien déjà, nous sommes passés de 32 équipes en 1994, à 95 équipes en 2015 (le pic des 100 équipes ayant été atteint il y a 10 ans), ce n’est plus la même organisation ! Nous avons dû nous adapter sur les plans sportif et logistique mais aussi informatique. Et puis nous développons à chaque édition davantage de services pour nos clients. Cette année par exemple, nous avons étoffé notre offre « package d’entreprise », ce qui nous a permis d’en comptabiliser 17. Les entreprises invitent des clients dans ce qui devient pour elles une magnifique opération de relations publiques. En plus de l’inscription à la compétition, les déjeuners sont déjà pris en charge, des cadeaux supplémentaires sont offerts aux joueurs, ils ont le choix de leurs heures de départ et le logo de l’entreprise figure sur le leaderboard.
LFCDS : Quels ont été les changements introduits sur le plan sportif ?
CC : Le changement le plus important a été le passage à 4 groupes. Nous ne pouvons faire jouer que 25 équipes par golf car nous avons une double contrainte : la météo du mois d’avril sur la Côte d’Opale peut nous retarder sur les premiers départs du matin et tout décaler, et les temps de jeu, parfois longs en formule Pro Am. Nous voulons garantir à nos clients une période d’après-golf suffisamment longue pour en profiter. L’édition de 1998, avec 70 équipes inscrites, nous a amenés à la formule actuelle : 4 groupes simultanément répartis sur 4 parcours. Cette même année, j’ai décidé d’introduire la double carte de score. J’ai été le premier à le faire. L’idée est de mieux contrôler la véracité des scores pour lever toute suspicion de triche. Pour les mêmes raisons, j’ai mis
en place dès 2005 un système de commissaires marqueurs qui suivent les deux premières équipes en net et la première équipe en brut du classement de la veille, et ce tous les jours de la compétition. Je tâche de veiller en permanence à éliminer les potentiels tricheurs et gommer les suspicions de triche. Une autre évolution, qui date de cette année, est l’introduction de marques de départ seniors. Même si j’ai un excellent taux de renouvellement de clients et un rajeunissement notable depuis cette année, j’ai aussi beaucoup de joueurs fidèles, et qui nécessairement vieillissent. Il était donc indispensable de leur garantir des conditions de jeu amusantes. Les amateurs de plus de 70 ans partent ainsi des marques bleues. Les pros seniors, quant à eux, avaient déjà un avantage en partant des marques jaunes depuis 2 ans.
LFCDS : Il y a également eu une forte augmentation du prize money ?
CC : Oui, c’est une courbe en constante augmentation ! La dotation totale sur la base de 100 équipes était de 244 000 francs (37 000 euros) la première année, et nous distribuons aujourd’hui 73 000 euros. Ce qui a beaucoup changé aussi, c’est le montant de la prime garantie, c’est à dire ce qui est versé aux pros n’ayant pas performé suffisamment pour être sur le podium. Cette prime était de 1000 francs (150 euros) et est aujourd’hui de 650 euros.
LFCDS : Et d’un point de vue logistique ?
CC : Ce n’est plus la même chose ! Sur les premières éditions, nous étions des bricoleurs. Nous partions de Paris avec des Volvo (partenaire du Pro Am), remplies jusqu’au toit. C’était à chaque départ le même stress avant que tout ne soit calé dans les voitures. Aujourd’hui, c’est un camion de 23m3 qui achemine tout le matériel et les dotations jusqu’au Touquet. Cela nous permet de garder notre capital stress pour d’autres problématiques… Le logement de l’équipe a aussi changé. Je logeais tout le monde à l’hôtel, mais au début des années 2000, j’ai loué une grande villa pour tout le staff. Outre l’espace ainsi gagné pour toutes les manipulations de produit, cette vie en communauté a grandement contribué à la communication entre nous et à créer une magnifique cohésion de l’équipe qui rejaillit sur toute l’organisation et sur nos clients.
LFCDS : En 22 ans, nous avons basculé dans le digital. Comment as-tu tiré profit de ce changement ?
CC : Que du bénéfique pour nous. Il faut savoir que la gestion des résultats, avant la généralisation d’internet, se faisait manuellement. Chaque golf m’envoyait par fax les cartes de score, que je saisissais une à une dans le logiciel de traitement des résultats que nous avions développé… Aujourd’hui, et après plusieurs refontes de notre logiciel, les cartes sont saisies devant les joueurs, au recording de chaque golf, le tout centralisé via internet, et les résultats sortent tous seuls. La dernière nouveauté est la mise en ligne, sur le site du Pro Am, de tous les résultats. Le leaderboard est donc accessible à tous, en temps réel. Et puis les équipes ont chacune un espace privé sur le site avec leur planning et leurs cartes de score.
LFCDS : Comment organises-tu les remises des prix ?
CC : Là encore, beaucoup de changements ont été apportés. Nous avons supprimé le traditionnel dîner de gala du vendredi soir, au grand soulagement semble-t-il de beaucoup de nos joueurs. Si la soirée était belle, elle était longue et nos clients aiment aussi se reposer ou se retrouver en petits groupes à l’issue des remises des prix. J’ai également choisi de faire toutes les remises des prix au Touquet (en supprimant celles organisée au golf d’Hardelot, au Manoir et au Westminster), afin de mettre en place un village golf avec tous les partenaires au Palais de l’Europe. J’ai même une personne dédiée dans mon équipe à la mise en place quotidienne des remises des prix et des 48 lots offerts chaque jour (220 lots sur la semaine, plus les tirages au sort). C’est un rendez-vous quotidien qui connaît un très grand succès auprès des joueurs. J’en tiens pour preuve les 300 bouteilles de champagne et les 200 litres de bière bus cette année !
LFCDS : Quel a été ton plus grand stress en tant que directeur de tournoi ?
CC : En 1998 ou 1999, nous venions de faire une importante mise à jour de notre logiciel et l’étrennions donc pendant le Pro Am. J’ai commencé la remise des prix et je me suis aperçu au bout de quelques minutes que les scores que j’annonçais n’étaient pas les bons, les groupes avaient été inversés par un bug du logiciel. J’ai donc repoussé la remise des prix et annoncé que je serais en mesure de dévoiler les scores 30 minutes plus tard. Le temps pour moi de reprendre manuellement, golf par golf les résultats, grâce au leaderboard qui heureusement était à jour. Une autre grosse angoisse, en 2008, impossible de remettre la main sur l’ordinateur qui contenait les résultats de l’un des golfs, indispensable pour consolider les résultats généraux. Le garçon qui en était responsable avait disparu, était injoignable, pour réapparaître douché et rasé de près une heure plus tard….
LFCDS : Et ta plus grande fierté ?
CC : C’était en 2002, la météo avait été épouvantable, avec des pluies diluviennes. J’ai été informé par mon équipe que certains des greens de Wimereux étaient inondés et que le jeu avait été suspendu. J’ai déboulé sur place, je suis allé chercher le green-keeper dans sa cabane, j’ai pris ses raclettes, et comme je connaissais bien le parcours et ses zones sensibles, je suis allé directement au trou N°2 pour le racler, ainsi que le 8. La pluie s’était calmée. Je suis revenu au club house où au lieu de s’apprêter à reprendre le jeu tous les golfeurs étaient tranquillement en train de déjeuner, les plats étaient servis… J’ai vu rouge et j’ai élevé la voix en leur annonçant une reprise de jeu dans les 30 minutes. Mes clients ont été surpris et ont obtempéré. J’en éprouve une vraie fierté, d’autant plus légitime que j’ai même reçu par la suite des témoignages de golfeurs satisfaits par cette démonstration d’autorité.
LFCDS : Peux-tu nous parler du Touquet Golf Square ?
CC : C’est un joli projet. Je souhaitais depuis quelques années faire rayonner le Pro Am sur toute la ville et auprès d’une population non golfeuse. Le projet a séduit la Ville qui nous prête main forte sur la mise en place de ce parcours dans ses espaces verts. Neuf trous éphémères sont créés. Nous avons accueilli cette année 700 personnes sur les 4 jours qu’a duré le Pro Am. Nous leur prêtons les clubs et les balles, et après une initiation offerte par un moniteur de golf, les apprentis golfeurs sont lâchés sur le « parcours ». La ffgolf nous soutient également, et j’espère contribuer, par cette action, à la création de futurs golfeurs !
LFCDS : Près de 400 joueurs chaque année, un staff de 10 personnes, une météo incertaine, des conditions de terrain parfois difficiles au sortir de l’hiver, une initiation géante à travers la ville, le tout à 700 km de tes bases, te décrirais-tu comme un équilibriste ?
CC :(Rires) Ce métier demande de jongler avec des problèmes qu’on essaye de résoudre le plus vite possible sans que les clients s’en aperçoivent. Il nous arrive de faire face à d’énormes montées de stress, à des problèmes entraînant parfois des nuits blanches (des cartes de score refusant de sortir de l’imprimante par exemple) et nous devons arriver le lendemain matin comme si de rien n’était. Il y a toujours des soucis mais on n’a pas le droit à l’erreur. Pour minimiser les risques, on prépare beaucoup de choses et on fait beaucoup de repérages en amont. Et puis je suis là-bas comme si j’étais chez moi, c’est important. On est toujours extrêmement bien reçus et on a l’impression d’être un peu comme chez nous. On prend les clés des 4 parcours et on les rend 4 jours après.
LFCDS : As-tu un scoop à nous donner concernant l’édition 2016 , du 27 au 30 avril ?
CC : Nous allons introduire une petite nouveauté sur la partie entreprises en démarrant le mardi soir par une soirée entreprises et partenaires. J’essaye toujours de trouver des nouveautés, des améliorations et je pense qu’avec 17 entreprises cette année, cela nécessite une attention supplémentaire. Et c’est bien que les partenaires et les entreprises se côtoient, c’est bon pour le business. Autre chose, et cela concernera tout le monde, je repars en guerre contre le jeu lent et je vais remettre un marshall par golf, des panneaux de temps de jeu, et j’envisage même de faire une réunion avec les pros pour les sensibiliser. On a enregistré des temps de jeu de près de 6 heures cette année, c’est inadmissible.
LFCDS : Es-tu un organisateur de tournoi heureux ?
CC : Ah oui ! (rires) Je crois qu’il faut être heureux pour organiser ce type d’événements. Dans mon discours de la dernière remise des prix, je disais que ça faisait 22 ans qu’on se côtoyait, 22 ans qu’on était une grande famille, et 22 ans que moi je l’aime ce Pro Am, c’est viscéral, ça me prend dans les tripes. Et si je ne l’aimais pas, je ne l’organiserais plus. C’est comme les joueurs, je les aime aussi…